mercredi 17 février 2016

François Michalon partage sur le Burn Out de l'Express

"No cash, no sleep": quand les patrons sont en burn out


Depuis cinq ans, Olivier Torrès accompagne les dirigeants de TPE et PME et tente de dresser leur bilan de santé. Un travail d'écoute et de prévention, qui tente de rompre la solitude de patrons souvent coincés entre responsabilités et doutes.

"Il y a à peine cinq ans, on disposait de plus de statistiques sur la santé de la baleine bleue que sur celle des patrons de PME!" C'est Olivier Torrès, chaleureux et intarissable enseignant-chercheur à l'université de Montpellier qui lance ce surprenant constat. La question du bien-être - et de son sombre pendant, le mal-être - des chefs d'entreprise l'occupe à temps plein.  
Tous les deux mois, son équipe contacte un panel de 400 dirigeants de PME pour leur poser des questions sur leur état de santé. "Comment dormez-vous ?" "Avez-vous consulté un médecin le mois dernier ?" "Et un kiné ?" sont autant d'interrogations intimes et médicales que l'équipe d'Amarok, organisation consacrée à la fine observation de la santé physique et psychique des travailleurs non salariés en général et des petits patrons en particulier.  

L'angoisse de la faillite 

"On travaille beaucoup sur la place des émotions dans le quotidien des patrons de PME, explique Olivier Torrès. L'idée est d'identifier les émotions négatives et positives mais aussi leurs causes et leurs conséquences." Dans la famille négative, c'est le stress la principale émotion et l'équipe d'Amarok a distingué deux facteurs de stress majeurs : le dépôt de bilan et les problèmes de trésorerie. "Le cauchemar absolu des patrons, c'est la faillite, commente Olivier Torrès. Mais avant cela ils ont aussi l'angoisse récurrente de la trésorerie. Parce qu'une PME est une entité à l'équilibre fragile que des délais de paiement ou la perte d'un client important peuvent mettre en danger."  
Le chercheur résume d'ailleurs le lien entre soucis d'argent et santé du dirigeant en une formule choc : "No cash, no sleep". Le sommeil, ce grand lésé du quotidien patronal, constitue un indicateur sensible de l'état du dirigeant. "J'accompagne une thésarde qui travaille justement sur cette question et il ressort que les chefs d'entreprise ont une dette de sommeil, environ trente minutes de moins que la moyenne des Français, car ils rognent sur leur temps de repos pour travailler", analyse Olivier Torrès. Le déficit de sommeil a deux conséquences directes : l'irritabilité et la baisse d'attention et d'anticipation, la fameuse sensation d'être "au radar". "Ne pas dormir, c'est créer les conditions d'une forme d'inefficacité entrepreneuriale et se précipiter tout droit vers le burn out", prévient le chercheur de Montpellier, qui préconise de fréquentes siestes.  

Le drame de la petite taille

"Ce qui transparait beaucoup dans nos études, c'est la solitude et l'isolement, explique l'universitaire. Les chefs d'entreprise mènent une vie professionnelle très solitaire et peuvent rarement partager leurs difficultés et leurs états d'âme comme quand ils doivent se séparer d'un salarié."  
Pour Olivier Torrès, le drame de la PME, c'est sa petite taille. Peu nombreux, les membres de l'équipe sont plongés dans une proximité humaine qui peut donner à chaque événement une dimension émotionnelle forte. "Ces étapes inévitables de la vie de l'entreprise sont vécues comme de vrais drames dont ils ne peuvent souvent pas parler", ajoute le spécialiste. S'ils disent se confier à leurs proches, les patrons affirment également que leur conjoint(e) est souvent saturédes plaintes quotidiennes qu'ils rapportent chaque soir du travail. "Je leur conseille de rejoindre des réseaux comme le CJD ou autres et de discuter avec leurs pairs pour décharger cette intensité émotionnelle", poursuit Olivier Torrès avec passion.  

Gare au surinvestissement

De ces émotions qui les submergent, les chefs d'entreprise ne parlent guère. "Il y a ce mythe du dirigeant qui encaisse et travaille sans relâche et ne peut pas se permettre de prendre le temps de se soigner, relève le responsable d'Amarok. Je tente de déconstruire un peu cette représentation pour mettre fin au discours du surhomme car nos études montrent que les patrons se rendent chez le médecin cinq fois par an en moyenne (toutes spécialités confodnues), soit légèrement moins que la moyenne nationale."  
Si l'ophtalmologiste, le cardiologue et le rhumatologue constituent le trio de tête des spécialistes consultés, la visite à un psychiatre ou un psychologue arrive en sixième position. "L'accompagnement d'un psy peut aider les dirigeants à mettre un peu de distance par rapport à leur engagement personnel, avance Olivier Torrès. Il y a une culture du surengagement parmi cette population, l'idée qu'on s'investit à tous les sens du terme et qu'on est fier de travailler 105 heures par semaine, oui j'ai déjà entendu quelqu'un dire ça. Le risque d'un chef surinvesti, c'est qu'il demande aux salariés d'en faire autant , chose impossible et illusoire. Et au bout de ce processus de surinvestissemnt, on trouve la déception." Un sentiment de déception qui conduit parfois au ras-le-bol ou au trop plein. Un peu comme quand la baleine bleue expulse de l'eau, formant un geyser massif...